Ne m’enchaîne pas, je m’en charge.

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                                                       De l’auto-subordination militante.

                                                                 Restribus, Acte II.

« Et alors [que Solon] pouvait devenir tyran en s’alliant à celui qu’il voudrait, il préféra se faire haïr de tous deux [le parti populaire et le parti oligarchique], en sauvant sa patrie et en lui donnant des lois meilleures » – Aristote, La Constitution d’Athènes (XI,2).

 

Tout va toujours bien en Restribus. Intégrisme ou proxénétisme -une simple question de gestion. (Source image : http://avecunpetitrien.canalblog.com/albums/santons_7cm/photos/48052841-le_ravi.html)

Tout va toujours bien en restribus. Intégrisme ou proxénétisme -une simple question de gestion. (Source image : http://avecunpetitrien.canalblog.com/albums/santons_7cm/photos/48052841-le_ravi.html)

 

L’actualité est  bien riche ces derniers jours. Entre les tensions associatives autour de la mélanine de Marianne[1], la longueur des jupes spécialement conçues pour les femmes et les filles de confession musulmane [2] , les factions poussent un peu plus le bouchon jusqu’à mettre l’administration des établissements scolaires dans l’embarras et jusqu’au renoncement manifeste du gouvernement. Un programme des collèges faisant une place d’honneur à l’Islam, à l’instar des Lumières, facultatives – qui voudrait comprendre et connaître les fondements de l’Etat de droit ? – le latin distillé dans d’autres matières, que de nouvelles réjouissantes.

Si nous en croyons les groupuscules, la France est un pays raciste, colonial (aucun changement depuis la IIIème République, cela vous aurait-il échappé ?) et l’histoire des religions n’y aurait jamais été enseignée. Ce n’est évidemment pas le cas, mais la France est si laide lorsqu’elle ne donne pas la primauté aux clercs.

Clou du spectacle – et c’est peu de le dire – la journaliste Caroline Fourest se trouve virtuellement mise au pilori durant l’émission « On n’est pas couché » du 2 mai, face à Aymeric Caron. Son Eloge du blasphème (2015) aurait ainsi été prétexte non pas seulement à des questions stupides de type : « ne pensez-vous pas que votre analyse est biaisée et exclut les croyants » ? (reformulation) – mais également à un règlement de comptes. Cette femme blanche n’aurait donc aucun scrupule ! Défendre les principes de la République et en particulier, ce pressant devoir citoyen qu’est le blasphème est un scandale lorsque l’on a des cheveux châtains et les yeux bleus. Blague intersectionnelle à part, ces injonctions au faciès nuisent au débat démocratique – à croire que chaque participante et participant doit raconter sa vie avant de proposer. La Noblesse urbaine définirait de nouvelles modalités du débat public, dont tout engagement devrait être impérativement écarté. Un débat réussi serait un débat œcuménique, qui ne fait de mal à personne, surtout pas aux clercs : « Il n’y a pas de place dans votre argumentation pour les personnes qui ne pensent pas comme vous »- pérorer de manière insensée, identitaire, la larme à l’œil de compassion envers les serfs – voilà l’horizon (im)politique que l’on nous propose (ou impose …).

« Ne me libère pas, je m’en charge » ainsi est formulée la ritournelle gauchiste, partant du fameux slogan féministe. Les femmes, jadis, avaient pour dessein de s’émanciper de tutelles masculines – en tant que citoyennes, sujets politiques, et non en tant que poupées russes postcoloniales. Les femmes et non les mères, pauvres, blanches, vertes, prostituées ou que sais-je encore, avaient donc un projet politique de mise à distance de principes et pratiques phallocrates. Même si la rhétorique vaguement identitaire planait, peu de chances que l’envers eut été: « laisse-moi être une femme au foyer, c’est mon choix. », sous-entendu – attendons le déluge avant qu’il y ait un quelconque changement. Non, vraiment cette fascination messianique a la dent dure.

Qu’est-ce à dire précisément ? Nous connaissons la rhétorique gauchiste faussement subversive de gestion – et non pas d’émancipation, soit de rupture – d’inspiration corporatiste. Depuis les années 1980, la gauche radicale est en recherche active de prolétariat – et substitue la « classe » à la multitude morcelée mais, sans surprise, devant prévaloir dans tout agenda politique digne de- ce- nom- tribal.

Quelle différence, somme toute, entre auto-subordination (servitude volontaire) et auto-émancipation ? Une différence de degré manifestement.

Ainsi, les femmes voilées doivent « s’arranger entre elles », les femmes prostituées doivent elles-mêmes se libérer. Nous sommes tout de même en droit de demander à nos congénères probablement sous la houlette de prédicateurs et proxénètes, ainsi qu’à leurs compagnons pathologiques « de gauche » : Dans quel monde vivez-vous ?

Cela donne plutôt cette impression : je suis dans ma bulle et la politique n’est rien d’autre qu’un rapport entre usagers et pourvoyeurs de services – je suis donc en droit de narguer mes concitoyennes athées, laïques et féministes. Egocratie en plein ou New Public Management très mal transposé – quelle est donc cette obsession nombriliste ?

Les femmes sont citoyennes de pleins droits et responsables politiquement – ce n’est donc pas de « libération-ingérence » dont il s’agit, même si les coutumes patriarcales sont de fait, mais de responsabilité pure et simple. Rendre compte et raison de pratiques qui manifestement sont problématiques au regard des principes fondamentaux relève d’un exercice citoyen – et cela ne peut se faire sous un air misologue. J’anticipe les levées de boucliers perverses : « société répressive » – je pense que chacune et chacun est capable de voir les mutations politiques, juridiques et sociales des années 1950 à nos jours, tout de même ?

Un point aveugle étant de considérer les groupes politiques en termes sociologiques – et donc de faire, par exemple, des musulmanes des dévotes invétérées n’ayant une once d’esprit critique à l’encontre de stigmates d’appropriation tribale d’impureté tels le voile. L’on rétorque alors : « Oui mais, beaucoup ne pense pas comme vous ! » – pas possible ! Personne ne l’avait remarqué.

Le débat à proprement parler, lequel n’est pas une conversation, un échange de bons procédés où chacun « agree to disagree », mais une délibération requérant rigueur et souci du bien public – devient donc une sorte de déclaration de foi ou de vœux pieux, et bien sûr, tout est attaque personnelle. Les enfants sont susceptibles.

Examinons un passage historique fondamental dans notre civilisation occidentale (le gros mot). Aurait-on dû attendre qu’un athénien tyrannisé mette en place l’Ecclésia, plutôt que de laisser Clisthène – aristocrate – procéder à la réorganisation territoriale et institutionnelle annonçant les prémices de la démocratie athénienne ? En définitive, sont-ce les principes ou le « background » individuel qui devraient prévaloir ?

Bien sûr, il ne s’agit guère d’ignorer les tendances messianiques « civilisatrices » qui ont animé les entreprises coloniales et le paternalisme phallocrate – mais il y a une différence notoire et sans précédent à reconnaître autrui comme égale et donc, de confronter directement ce qui fait dissension. Assumer le conflit, tel est l’impératif démocratique, et tel est bien entendu, la première chose qu’esquivent les chefs de clan – moyennant accusations et litanies.

Alors évidemment, l’intégration Républicaine n’est pas inclusive mais discriminatoire de principes. Il est absolument fondamental, par souci d’égalité politique, que chacune et chacun soit mis devant des modalités d’organisation de l’espace politique et commun auxquels elle/il peut se fier. Si le droit et la loi sont tangents, à quel clan se vouer ? Quel recours pour une femme musulmane se référant à la « justice » qui lui sied – celle de tribunaux islamiques en Angleterre, par exemple ? Et puis, d’idéalisme à n’en plus pouvoir – l’on prétendra qu’elle a le choix ? Le Droit à la carte – religieux ou laïque, du pareil au même. Un retour à l’arbitraire féodal édulcoré sous les belles sonorités du « droit à la différence ». Différentes, mais surtout pas singulières – les bonnes sauvages doivent chérir leur « culture d’origine » pour le bien de la cause, attention.

Emmanuel Todd nous en aura fait voir – l’islam serait en l’occurrence, la religion de l’opprimé et par suite, il serait peu approprié d’émettre la moindre critique. Cette infantilisation serait gage de respect et de considération ? Outre la grave minimisation du phénomène intégriste sous l’égide d’un « clash des civilisations » ou économisme mythique – ce renoncement mène au musèlement de citoyennes faisant valoir autrement les enjeux d’un culturalisme qui brouille les repères et les termes des problèmes posés publiquement. L’injonction émergente et prépondérante, favoriser la concorde sociale plutôt que la lutte délibérative politique.

Oserait-on affirmer avec Rousseau qu’il vaut mieux une liberté politique périlleuse qu’une servitude tranquille ? Il n’est tout de même pas croyable que des acteurs se réclamant de gauche enjoignent les opprimés … à le rester et surtout, de faire l’autruche forts de lâcheté, et certainement pas de respect. Ainsi, concomitant au narcissisme militant, la servitude publiquement étalée – « Ne m’enchaîne pas, je m’en charge (et toi avec) », nouvel adage postmoderne ? Assurément.

15/05/15 : Ainsi nous continuons nos aventures dans ce monde parallèle Restribal, avec une déclaration enthousiasmante de Rokhaya Diallo cette semaine dans Paris Match – à croire qu’ils font exprès de corroborer nos propos ? « Je me bats pour que les femmes puissent disposer de leur corps, c’est à dire se voiler ou se prostituer » http://www.donotlink.com/f5dn Marcher en harmonie frémissante de conformisme avec les clercs et les proxénètes, c’est ce que l’on peut appeler un féminisme très courageux 🙂

 

[1] D’un côté une Marianne suggérée en symbole raciste puisque femme blanche et donc remplaçable par une figure plus typée selon nos audacieux, et de l’autre la manœuvre étant qualifiée … de raciste puisqu’instrumentaliserait la représentation des femmes et des hommes noirs. Y a-t-il plus royaliste que le roi ? Les clans se disputent la pureté. http://www.donotlink.com/f0nt
[2] Toutes les couleurs, toutes les tailles et tous les prix. http://www.donotlink.com/f1pg

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Une réponse "

  1. « (…) et non en tant que poupées russes postcoloniales » haha bien trouvé 😉 elle est bonne, j’ai tout de suite eu l’image dans mon esprit !
    REGARDE tu peux faire des coloriages : http://2.bp.blogspot.com/_dsnzgYi204Q/S-okgpj_k5I/AAAAAAAAX-0/H9hho81tG6A/s1600/BONECA+1.JPG
    Et voilà les vilaines : http://magazine.uncadeau.com/wp-content/uploads/2011/03/poupees-russes.png

    « Ne me libère pas, je m’en charge » ne serait-il pas interprété dans le contexte d’un fauxminisme-identité et non projet politique ? Je pense à tous ces débats au sujet de qui est/peut être féministe etc. Je ne nie pas que certains actes peuvent réduire à néant la crédibilité d’une personne en tant que féministe, mais cette focalisation sur l’individu.e me semble être une fausse route.

    À ce propos, que penses-tu du débat « Les hommes ne peuvent pas être féministes » ? J’ai l’impression que cette idée que les hommes ne peuvent être féministes (je ne nie pas que ce soit rare mais ne dirais pas que c’est impossible) définit le féminisme comme une identité, quelque chose qui est lié aux caractéristiques d’une individue, et non une position politique.

    En ce qui concerne toutes ces catégories d’oppressé.es, on nous dit : « Tu n’es pas ceci, tu n’es pas cela, donc tu n’as pas droit à une opinion. On se libère nous-mêmes, on n’a pas besoin de toi. » Mais je ne vois pas comment on peut changer la société quand on exclut tout une section du débat, et qu’en plus on n’a pas vraiment de projet politique. On a besoin de nuances ! »

    • Pour la première question, oui c’est le problème. Tendance néocorporatiste – sauf que je ne pense pas que ce soit une manipulation ou instrumentalisation des rhétoriques précédentes.

      Je pense que cela s’inscrit dans la continuité. La « classe des femmes » a bien été définie ‘a priori’ tout en réduisant toute institution à une superstructure patriarcale. La conséquence c’est que l’on applique le même schéma dans des sociétés permissives où les rapports ne sont pas binairement polarisés mais plus diffus.

      « Je pense à tous ces débats au sujet de qui est/peut être féministe etc ». Tout à fait, mais il faut aussi bien voir de quoi l’on parle. Le féminisme n’est pas une identité mais une pensée et une pratique politique avant tout. Je ne considère pas le libertarianisme pro q comme du féminisme.

      • Pour la seconde question, il me semble plus que nécessaire d’ inscrire le féminisme dans le débat public comme « structurant » et non pas tabler sur l’ « auto-gestion » comme fin. Des hommes sont tout à fait capables de comprendre les enjeux que pose le féminisme – il n’y a qu’à voir la mobilisation autour de l’abolitionnisme, par exemple. En revanche, les femmes ont tout autant le droit de s’organiser comme elles l’entendent politiquement, et on peut comprendre symboliquement ce qu’implique la non-mixité. Le Collectif « Ruptures » a une branche mixte et non-mixte.

        Le plus important est de s’imposer franchement sur la scène politique, et ce n’est pas le cas – d’où l’encensement constant des mâles pro-féministes en héros de l’année. Problème de communication, à force de vouloir plaire et de rabâcher « on n’est pas contre les hommes », propos absolument hors sujet, on revient sans cesse au paternalisme.

        Donc, je suis d’accord. C’est pour cela qu’il faut bien distinguer ce qui relève des libertés publiques, et du projet politique qui doit être de portée générale. Et bien sûr, c’est là que le bât blesse avec les groupes identitaires. La confusion a bien entrainé un néocorporatisme qui se justifie de la sorte : tu as tel attribut, reste à ta place. Fait du Prince devenu celui du serf. On ne s’en sort plus. Au bout d’un moment, il faut redescendre sur terre. La pureté de la Révolution est une fiction. Devrait-on bouder ces sénateurs qui ont défendu l’abolitionnisme face à des Benbassa? Non.

        Notons la pratique dévote de cette politique de l’autruche de la part des solidaires-mais-pas-trop est tout à fait lâche. Faire motus sous prétexte que l’on ne fait pas partie de la « caste opprimée », c’est refuser de prendre position et donc ses responsabilités. Ils n’ont pas compris que « ne pas parler à la place de » c’est justement parler en son nom propre et ne suppose pas la fusion et donc à terme l’indifférence !

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